L’homme préhistorique aussi allait chez le dentiste

C'est l'histoire d'une mandibule à remonter le temps. Ce morceau de mâchoire inférieure appartenait à un jeune homme vivant il y a 6 500 ans dans ce qui est aujourd'hui la Slovénie. Cet Européen du néolithique n'a pas profité très longtemps de l'existence car l'analyse de sa mandibule et des cinq dents qui y sont toujours plantées (1 canine, 2 prémolaires, 2 molaires) suggère qu'il avait au maximum 30 ans quand il est mort. Ses restes ont été retrouvés au début du siècle dernier dans une grotte et, après avoir été dûment décrits et catalogués, ils ont été conservés, des décennies durant, dans un musée de Trieste (Italie) sans que personne ne note quoi que ce soit de particulier à leur sujet.

 

 

C'est en s'en servant pour tester un nouvel appareil de radiographie que des chercheurs du Centre international de physique théorique de Trieste se sont aperçus d'une anomalie : comme ils l'expliquent dans un article publié le 19 septembre surPLoS ONE, il y avait, sur le dessus de la canine, quelque chose qui n'était pas censé y être. Cette canine était cassée et fissurée : toute la pointe manquait et la dentine, c'est-à-dire la partie de la dent se trouvant sous l'émail, était exposée. Mais en réalité, une fine couche d'un matériau inconnu la recouvrait, comme une sorte de pansement. A l'analyse, cette substance protectrice s'est avérée être... de la cire d'abeille. La datation au carbone 14 a révélé qu'elle aussi avait 6 500 ans d'âge.

Qu'a-t-il bien pu se passer ? L'étude n'a pas pu montrer si la pose de ce qui semble être le premier "plombage" de l'histoire s'est faite avant ou après le décès du propriétaire de la mandibule. Deux hypothèses ont donc été proposées. La première, qui a la faveur des auteurs, dit qu'une fois cassée, la dent est devenue très sensible, soit au contact de la canine supérieure quand la mâchoire se refermait, soit aux changements de température, soit aux aliments sucrés qui provoquent une réaction sur la dentine exposée. D'où une tentative de colmatage pour protéger la dentine et réduire la douleur. La cire était une solution pratique, d'une part parce que les produits des abeilles (miel, cire, propolis) étaient couramment utilisés au néolithique, mais aussi parce que le point de fusion de ce matériau étant bas, il n'y avait pas grande difficulté à reboucher proprement la dent, et enfin parce que la composition chimique stable de la cire assurait un soin de longue durée, une fois que celle-ci se serait solidifiée. Quant au second scénario, il imagine simplement la pose de la cire sur la dent comme faisant partie d'un rituel funéraire jamais vu ailleurs.

Même si des analyses ultérieures confirment la validité de la première hypothèse, cela ne fera pas pour autant de ce cas slovène le plus vieil exemple de soin dentaire. Dans une étude publiée en 2006 par Nature, une équipe internationale de chercheurs mettait en évidence la présence d'un dentiste préhistorique, il y a 9 000 ans, sur le site pakistanais de Mehrgarh. Explorant la nécropole du lieu, ces archéologues avaient, sur les quelque 4 000 dents passées en revue, découvert plusieurs cas de perforations sur des dents apparemment malades, avec l'assurance qu'il ne s'agissait pas d'un rituel post-mortem car elles avaient de toute évidence continué de servir après. Mesurant entre 1,3 et 3,2 mm de diamètre, ces perforations étaient probablement effectuées à l'aide de perçoirs à silex très fins actionnés par un archet et utilisés d'ordinaire pour forer les perles retrouvées en abondance sur le site. On imagine difficilement la douleur que l'opération devait provoquer...

Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)