Lettre d’amour de Victor Hugo à Juliette Drouet N’oublie jamais, mon ange, cette heure mystérieuse qui a changé ta vie


Pendant un demi-siècle,Victor Hugo et Juliette Drouet auront fidèlement honoré la date d'anniversaire de la première nuit d'amour,Cinquante ans de lettres historiques retracent cette grande histoire d’amour. Juliette disait souvent qu'elle avait pris l'habitude de parler à ses feuilles de papier comme à son cher Victor.

Victor Hugo envoie cette jolie lettre à Juliette Drouet.à l'occasion de cette 'nuit bénie'

 

Nuit du 17 au 18 février 1841.

T'en souviens-tu, ma bien-aimée ? Notre première nuit, c'était une nuit de carnaval, la nuit du mardis-gras de 1833. On donnait je ne sais dans quel théâtre je ne sais quel bal où nous devions aller tous les deux, et où nous manquâmes tous les deux. (J'interromps ce que j'écris pour prendre un baiser sur ta belle bouche, et puis je continue.) Rien, — pas même la mort, j'en suis sûr, — n'effacera en moi ce souvenir. Toutes les heures de cette nuit-là traversent ma pensée en ce moment l'une après l'autre comme des étoiles qui passent devant l'œil de mon âme. Oui, tu devais aller au bal, et tu n'y allas pas, et tu m'attendis, pauvre ange que tu es de beauté et d'amour. Ta petite chambre était pleine d'un adorable silence. Au dehors, nous entendions Paris rire et chanter et les masques passer avec de grands cris. Au milieu de la grande fête générale, nous avions mis à part et caché dans l'ombre notre douce fête à nous. Paris avait la fausse ivresse, nous avions la vraie.

N'oublie jamais, mon ange, cette heure mystérieuse qui a changé ta vie. Cette nuit du 17 février 1833 a été un symbole et comme une figure de la grande et solennelle chose qui s'accomplissait en toi. Cette nuit-là, tu as laissé au dehors, loin de toi, le tumulte, le bruit, les faux éblouissements, la foule, pour entrer dans le mystère, dans la solitude et dans l'amour.

Cette nuit-là, j'ai passé huit heures près de toi. Chacune de ces heures a déjà engendré une année.

Pendant ces huit ans, mon cœur a été plein de toi, et rien ne le changera, vois-tu, quand même chacune de ces années engendrerait un siècle.